FOIRE AUX QUESTIONS
Éléments de réflexion plus ou moins consensuels
autour du cursus de Licence "Musiques actuelles, Jazz et Chanson".

(par Pascal Pistone)



ATTENDUS DE LA FORMATION


« Que cherche à développer cette formation chez l'étudiant ? »

3 aspects sont développés dans ce cursus :

1°) Ce que vous avez à dire
C’est la culture qui vous y aidera (l’université a donc un rôle majeur à remplir) - mais aussi l’expérience, la vie tout simplement... La culture vous permettra justement, à travers un travail d'identification et d'association d'idées, de mettre davantage à profit toutes les expériences de la vie - en d'autres termes, d'en prendre pleinement conscience, afin de gagner en maturité et d'avoir un regard aiguisé sur le monde qui vous entoure. La culture vous évitera donc de rester insensibles à la beauté de toute chose, aveugles face aux signes, aux références, aux coïncidences troublantes, aux évocations historiques, aux réminiscences diverses que la vie nous transmet tous les jours.

2°) Comment vous allez l’exprimer sur scène
Les conseils que vos aînés plus expérimentés peuvent vous donner sont très importants. Ils peuvent sembler parfois contradictoires, d’un enseignant à l’autre; mais c’est une très bonne chose : ils sont en réalité complémentaires. Une université recrute souvent des enseignants aux méthodes diverses : c’est ce qui fait sa force - même si les étudiants se plaignent parfois, un peu trop rapidement, du fait que les méthodes ne sont pas toujours calibrées. En analyse musicale, des chiffrages différents coexistent. En histoire de la musique, des interprétations historiques diverses sont possibles. Dans le domaine de la production artistique, des conseils parfois contradictoires peuvent être donnés par différents intervenants. La musique et l'art ne sont évidmement pas des sciences exactes.


3°) La technique musicale, la théorie (= les outils au service de cette expression)
Bien sûr, la plupart des chanteurs à succès ignorent tout du solfège et du reste, mais ce sont néanmoins ces acquis qui vous permettront d’acquérir une forme de liberté :

- liberté financière (car vous pourrez enseigner en école, collège, école de musique, conservatoire, en cours privé, fonder votre propre structure, etc., parallèlement à une activité artistique - sans être obligés de dépendre d’un travail alimentaire parfois très castrateur)

- liberté artistique (car vous ne serez pas entièrement dépendants d’un arrangeur, d’un spécialiste de MAO, d’un monteur, d’un chef d’orchestre, d’un directeur artistique, qui vous feront comprendre à longueur de temps que vous n’y connaissez rien, qu’il faut laisser faire les pros, et allonger bien souvent l’oseille !)


« Concrètement, à quels métiers prépare ce cursus ? »

Officiellement, notre intention première n'est pas de former les grandes stars de la chanson française de demain (si certains réussissent dans cette voie, tant mieux pour eux évidemment), mais plutôt de futurs candidats aux concours de recrutement dans l'enseignement secondaire (Capes, Agrégation), capables de chanter, d'arranger, de diriger, d'accompagner des chansons, comme de donner envie aux élèves de découvrir et d'interpréter ce répertoire. Parmi nos étudiants, certains choisiront aussi d'enseigner en école de musique, conservatoire, association musicale. D'autres entameront des recherches autour du répertoire de la chanson (doctorat, participation aux colloques, édition), contribuant à la sauvegarde du patrimoine. D'autres encore se dirigeront vers des activités de diffusion (production, organisation de concerts, direction de lieux de spectacles) en ayant le mérite de connaître réellement le sujet (ce qui est loin d’être toujours le cas dans le milieu de la diffusion). Enfin, certains choisiront peut-être cette carrière exclusive, incertaine et périlleuse, d'auteur-compositeur-interprète.

Il y a certes toujours un débat autour de ce paradoxe lié à la formation d'un auteur-compositeur-interprète dans l'enceinte d'une université, même s’il convient de rester conscient du fait que la technique vocale, l'interprétation scénique, et surtout l'apprentissage du piano, l'arrangement, l'orchestration, l'accompagnement, l’histoire, les techniques d'enregistrement ou encore les réalisations discographiques méritent bien de faire l'objet d'études approfondies.
J'ai développé par exemple ce sujet dans un article paru en 2020, dans la revue
Hexagone : "L'université peut-elle former des poètes maudits  ?".

La pédagogie est déjà une science complexe, mais la pédagogie musicale l'est encore davantage. Comment former un artiste ? Peut-on le faire contre son gré ? Tous les étudiants qui suivent le même enseignement, avec les mêmes professeurs, ont-ils exactement les mêmes chances de réussite ? Faut-il adapter une pédagogie au plus grand nombre ? Ou faut-il miser davantage sur ceux qui pourraient s’en sortir ? Ce sont des questions complexes auxquelles la plupart d’entre vous devront bientôt répondre, en tant que futurs enseignants, pédagogues, ou simplement musiciens désireux parfois de transmettre des notions ou simplement l’envie de jouer.



« Ce cursus s’adresse-t-il à des chanteurs de reprises ? »

Les étudiants sélectionnés pour intégrer ce cursus ne le doivent pas uniquement à leurs compétences vocales, mais parce que leur niveau d'étude, leur curiosité, leur polyvalence, leur expérience plus ou moins développée dans le domaine de la création, semblent indiquer un potentiel de futurs auteurs-compositeurs-interprètes.

Chacun est libre de s’épanouir dans le répertoire qu’il souhaite défendre. Mais il serait absurde d’entretenir systématiquement de faux espoirs autour d’une carrière dédiée à l'interprétation vocale exclusive de reprises.

Certains chanteurs de reprises peuvent espérer trouver du travail auprès des restaurants à proximité des pages, l’été, mais n’intéresseront pratiquement jamais les programmateurs des scènes françaises, à la recherche de chansons inédites et personnelles.

Il faut bien reconnaître que la plupart des chanteurs à voix qui excellent dans l'interprétation de reprises ou de chansons d'autrui (Céline Dion, Garou, Natacha Saint-Pierre…), avaient pratiquement tous une voix naturelle déjà formée dès l'adolescence (parfois sans avoir pris le moindre cours) - ce qui n'exclut évidemment pas la nécessité d'être suivis par des coachs vocaux de métier, durant toute leur carrière. Actuellement, des milliers et des dizaines de milliers de post-adolescents ont, en France, une voix naturelle magnifique, parfaitement juste, sans avoir encore commencé à la travailler. Dix ans de cours de chant intensifs pourraient-ils permettre à une chanteuse ne disposant pas d’une telle voix naturelle, de chanter aussi bien que Céline Dion ? Je ne connais pas de tels exemples, pour ma part.

En revanche, l’auteur-compositeur-interprète (ou auteur-interprète) est un créateur qui ressent un jour le besoin viscéral de chanter ses propres mots (ses propres maux aussi), ou sa musique, et qui - poussé par cette nécessité absolue de communiquer lui-même sa création au public - va devenir un interprète de talent, voire de très grand talent (Gainsbourg, Brel, Ferré, Barbara, Leprest, Camille…). L’approche est donc complètement différente de celle d'un chanteur à reprises.


« Quelles sont les clés de la réussite ? »

Évoquer l’aptitude au travail ne serait pas suffisant pour aborder cette question.
La plupart des étudiants obligés d’interrompre une formation artistique le font rarement par manque de talent, mais souvent à cause d’un manque cruel d’
organisation (indispensable pourtant à la carrière d’un musicien - à moins d’avoir beaucoup de chance ou un coach personnel 7 jours sur 7), mais aussi à cause d'un manque de communication (ne serait-ce qu’avec les enseignants - afin d’évoquer calmement et régulièrement les problèmes rencontrés et de trouver des solutions pertinentes en toute bonne foi, sans donner l’impression de vouloir parfois manipuler l’autre ou de ne pas le respecter tout simplement).

Organisation et communication - associées à un minimum de talent - représentent donc les clés de la réussite. Ce constat est également confirmé par l’activité artistique de plusieurs de nos anciens étudiants qui ont su tout particulièrement développer ces aptitudes. N'oubliez pas que la musique est une activité qui - contrairement à la littérature par exemple - requiert de fédérer (des musiciens pour interpréter, des techniciens pour diffuser, du public pour écouter...). Pour fédérer, il faut organiser et communiquer.


« Le bagage culturel enseigné à l’université est-il réellement utile à la carrière d’un chanteur ? »

Un auteur-compositeur-interprète a besoin de se cultiver dans un premier temps; un inculte aura peu de chances d'avoir quelque chose à dire - l’inculte désignant ici celui qui n’est pas encore en capacité de tisser des liens entre ses propres sensations, ses émotions, et un monde extérieur qu’il a du mal à appréhender et à propos duquel il ne sait donc pas communiquer une impressions subjective, personnelle.

Bien sûr, il est possible de se cultiver en dehors d'un cursus universitaire. Mais certains d'entre vous prendraient-ils, seuls, le temps d'ouvrir et de lire certains ouvrages sur l'histoire de l'art, le cinéma, la musique…? De nombreux auteurs-compositeurs-interprètes ont mis à profit, plus ou moins consciemment, certaines connaissances acquises à l'université (en lettres modernes pour Vincent Delerm, en musicologie pour Émilie Simon ou Mademoiselle K, en philosophie pour Jeanne Cherhal, en hypokhâgne pour Raphaël, à Sciences Po pour Camille, en lettres puis musicologie pour Juliette, etc.). D'autres, comme Brassens, n'ont pas mis les pieds à l'université, mais ont eu la curiosité de se cultiver; Léo Ferré, qui n’a pas non plus été au conservatoire, lira de lui-même beaucoup de partitions, assistera à de nombreuses répétitions d’orchestre, et sera même amené plus tard à publier des écrits sur l'esthétique de Ravel ou de Debussy. 


« Faut-il nécessairement écrire des textes de chanson, dans le cadre de ce cursus ? »

Pendant ces trois ans, il faut jouer le jeu. Cela peut même susciter des vocations d’auteur. Certains étudiants ont parfois du mal à se lancer. Certains détracteurs, opposés à ce cursus, mettent en avant le fait que l'écriture de poèmes ou de chansons ne peut réellement s'enseigner. Il est vrai qu’un cours de création musicale ou littéraire - contrairement à l’orchestration, le solfège ou l’harmonie - ne délivre pas forcément de méthode très précise (des conseils forts précieux, tout au plus, ce qui n’est déjà pas si mal). Un cours de création a généralement 2 objectifs majeurs :

1°) Stimuler l'étudiant, le pousser à créer, ne serait-ce qu’en lui imposant des échéances d’examens ou de concerts, pour la production d’un texte ou d’une composition; même de grands professionnels de la création ont besoin d’être régulièrement stimulés par des impératifs (commande, concert, exposition…)

2°) Faire en sorte que l’étudiant puise, en lui, un univers musical et poétique personnel, à partir de ses propres angoisses, fantasmes, joies, fêlures, envies…

C'est la raison pour laquelle nous avons privilégié, pour le cours d'écriture de textes, des rencontres avec plusieurs auteurs d’horizons divers. Certains conseillent, d’autres donnent des exercices, d’autres encore proposent des corrections dans les textes, d’autres enfin vous proposent d’explorer des voies nouvelles de la création littéraire.


« Quelle est l’importance du travail personnel dans ce type de formation ? »

Elle est encore plus grande que pour d’autres formations. Un cursus de pratique artistique ne peut vous délivrer d'informations, méthodes ou enseignements trop directifs, aussi précis et objectifs qu'un cursus scientifique par exemple; cela serait contre-productif et irait à l'encontre de l'essence même de l'art. Néanmoins, le secret de la réussite, pour un artiste en formation, réside à la fois dans une réelle confiance envers ses professeurs (pour suivre notamment certains conseils méthodologiques), et une capacité de se former soi-même. Un manque de confiance envers l’enseignant est aussi pénalisant que le fait d’imaginer que le cours est suffisant pour progresser véritablement.

Un cursus artistique suscite une impulsion, des témoignages d'expérience, propose des conseils méthodologiques, des occasions de rencontres et de concerts… Mais tout ceci ne sert à rien sans une implication et un travail personnels - à l’image d’un cours de piano d’une heure hebdomadaire pour un travail minimum de 10 h par semaine à la maison. Il faut bien comprendre que plusieurs heures de travail personnel pour une seule heure de cours, supposent que l’on puisse adapter, développer, enrichir tous les exercices donnés, ne serait-ce que pour aiguiser et élargir son élan créatif (et ne pas tomber dans une forme d’ennui stérile). Monter des gammes machinalement peut être extrêmement ennuyeux; mais réaliser tout un travail mental autour de ces traits techniques pour gagner en assurance, et placer ces gammes dans des improvisations diverses, permet de progresser beaucoup plus rapidement, en donnant toujours du sens à ces exercices pourtant répétitifs.
N’oublions pas que, pour un même cursus, certains seront amenés à réussir (ils vivront de ce métier, connaîtront l’estime des critiques, s’épanouiront dans l’enseignement…), d’autres pas : il sera alors impossible de ne mettre en cause que le contenu et l’organisation du cursus.
Rappelons également que plusieurs enseignants dispensent bien plus d’heures que leurs heures statutaires - d’autres intervenants viennent même parfois réaliser des masterclasses à titre gracieux : ils sont donc tous en droit d’attendre, en retour, une implication très importante de votre part.


« Quel est le principal critère d'évaluation ? »

Cela dépend bien sûr de la matière et du contenu de l'épreuve, mais la vitesse de réalisation d'un exercice (évidemment réussi) reste souvent l'un des principaux paramètres. N'oublions pas que la musique est un art qui s'inscrit dans le temps  : l’improvisation, la composition, la direction d'orchstre, l’arrangement, etc., sont une question de réflexes (qui s’inscrivent donc dans la vitesse). Comprendre une notion (en harmonie par exemple) et la réaliser lentement ne sert pas à grand-chose dans une carrière musicale; la musique concerne en revanche une capacité à gérer le stress, à travailler efficacement dans l’urgence, à maîtriser le temps.



ORGANISATION ET ÉVALUATION

« Pourquoi l'organisation du planning paraît-elle parfois complexe ? »

L’organisation du planning d’un cursus de pratiques artistiques à l’université est très différente de celle d’un collège ou d’un lycée. Dans l’enseignement secondaire, vos professeurs étaient presque tous des titulaires affectés à votre établissement et disponibles en priorité pour votre cursus. Lorsqu’un chef d’établissement (collège ou lycée) décide d’un planning, les enseignants ont statutairement l’obligation de le respecter (idem pour les professeurs titulaires du conservatoire).

En revanche, dans une licence universitaire de pratiques artistiques, vos enseignants sont presque tous des professionnels d’horizons très divers, titulaires parfois dans d’autres établissements (conservatoires, pôles supérieurs, collèges, lycées…) et avec des activités multiples (producteurs, interprètes…). C’est ce qui fait aussi l’intérêt de ce cursus ; en revanche, il y a évidemment l’inconvénient d’un planning plus complexe qui doit parfois s’adapter aux impératifs professionnels des intervenants.


« Des mauvaises notes, lors des premières évaluations, sont-elles très problématiques ? »

Un étudiant qui manifeste la volonté de persévérer ne doit surtout jamais se décourager. Les différences de notes, lors des premières évaluations, sont liées aux raisons suivantes :
- certains ont intégré le cursus avec un niveau de 2e ou 3e cycle; d’autres avec un niveau de 1er cycle
- certains étudient plus que d’autres ou s’organisent mieux
- d'autres sont souvent absents ou pas suffisamment attentifs pendant les cours
- certains ne font pas forcément les exercices conseillés
- d’autres ont parfois besoin de davantage de temps pour acquérir certaines notions

Quelle que soit votre note, si vous manifestez la volonté de progresser et de travailler, vous aurez un niveau suffisant en fin d’année. Nous n’avons jamais écarté de ce cursus un étudiant assidu qui suivait les conseils, mais qui avait besoin de davantage de temps pour comprendre et assimiler.



« L’assiduité est-elle réellement indispensable ? »

Ne pas mettre entièrement à profit l’ensemble de ces cours dispensés par des professionnels de la pédagogie et de la musique, représenterait bien évidemment un immense gâchis, ne serait-ce qu'eu égard au coût supporté par l’ensemble des contribuables. Un cursus de licence sur trois ans peut coûter aisément plusieurs centaines de milliers d'euros à la collectivité, alors que vous ne déboursez qu’une centaine d’euros par an - sans oublier la place que vous occupez dans une filière à la capacité d'accueil limitée (et donc inaccessible pour un autre candidat). De telles sommes seraient également très utiles aux plus démunis, ou à des pays en voie de développement...

Très concrètement, une licence sur 3 ans coûte plus de 9000 euros par étudiant, pour environ 1500 heures. Une heure de cours à l’université coûte donc, par étudiant, exactement 6 euros (dont 95% sont payés par les contribuables, et 5% par l'étudiant à travers les frais d’inscription). Cela signifie que lorsqu’un étudiant sèche une journée de cours de 5 heures, pour un prétexte parfois discutable, l’État dépense INUTILEMENT presque 30 euros. Ces 30 euros auraient pu servir à la formation d’un autre étudiant, ou financer un projet différent (hôpital, humanitaire, projets caritatifs...). Mon rôle, en tant que directeur, est de le rappeler régulièrement.

Cette possibilité d’être encadrés, au sein de l’université, afin de progresser et d’évoluer artistiquement, s’achèvera à la fin de la licence (pour ceux qui iront au bout de ce cursus). Passée cette date, beaucoup parmi vous seront définitivement livrés à eux-mêmes, sans aucune aide extérieure de la part de professionnels de la musique. Vous pourrez peut-être bien sûr vous offrir parfois quelques cours privés à 50 euros de l’heure ou des studios d’enregistrement à 500 euros la journée, mais vous ne pourrez plus bénéficier aussi facilement de l’aide et des conseils d’une vingtaine de grands professionnels.

Beaucoup d’enseignants à l’université (titulaires et vacataires) dispensent régulièrement de nombreuses heures à titre gracieux après d’étudiants motivés, en dehors des heures statutaires de cours. À titre personnel, je ne me souviens pas avoir connu autant cela dans d’autres institutions musicales.
Il est vrai également que la tradition universitaire incite souvent des professeurs à épauler, à continuer de conseiller, à orienter sur certains circuits professionnels, à engager même parfois, des anciens étudiants qui ont su progresser, devenant à leur tour des musiciens accomplis. Depuis plusieurs années, sur une vingtaine d'intervenants par an, un tiers des enseignants de licence « Musiques actuelles, Jazz et Chanson » est composé d’anciens étudiants inscrits autrefois dans la filière Musique de l’Université Bordeaux Montaigne.

Quoi qu’il en soit, n’oubliez pas que l’assiduité est très fortement valorisée : un étudiant presque toujours présent, réalisant consciencieusement le travail demandé, ne peut pas rater son année universitaire.

Par ailleurs, j’insiste régulièrement, auprès de tous les enseignants, pour considérer que chaque heure d’absence (justifiée ou non), de la part d’un étudiant, doit absolument être rattrapée par un sujet d’étude ou des exercices d’une durée au moins équivalente - à moins de considérer qu’une heure de cours devant l’enseignant n'est pas très utile et pourrait être rattrapée en quelques minutes !…


« Ne pourrait-on pas assouplir encore davantage les modalités d'évaluation  ? »

Les modalités de contrôle des connaissances ont été très largement assouplies, "en faveur" des étudiants, depuis plusieurs années. Il y a 30 ans par exemple, il était nécessaire d'avoir au moins la moyenne sur chacune des matières, afin de valider l'année universitaire - rendant impossible par là même une compensation d'une discipline à l'autre : l'étudiant devait donc fournir un effort minimum sur chacune des matières enseignées. Si nous créons un cursus unique comportant un certain nombre de disciplines (aucune d'entre elles aujourd'hui n'est optionnelle), c'est bien parce que nous considérons que chacune mérite d'être étudiée avec sérieux (sinon, autant faire l'économie de certains enseignements).

L'expérience nous a montré, depuis plusieurs années jusqu'à aujourd'hui, qu'une exigence très relative concernant l'assiduité, les délais de remise des devoirs (des rattrapages de rattrapages de rattrapages ont parfois été proposés), le niveau requis ou encore les qualités d'organisation de l'étudiant, ne profite non seulement pas à l'étudiant concerné (qui ne réussit jamais à terminer le cursus), mais nuit  à l'activité ou au moral du groupe, et devient parfois très préjudiciable à l'organisation même du cursus et à ses rapports avec l'administration.

Comme nous l'avons dit plus haut, la musique est un art qui s'inscrit dans le temps : de même qu'une note jouée avant ou après le bon moment devient une fausse note, un orchestre ne peut exister qu'à travers un respect de règles strictes et une discipline acceptée dans l'intérêt du projet musical commun. Un bassiste ou un batteur qui "sèche" une session d'orchestre met en péril le jeu instrumental de ses camarades qui ne pourront pas répéter convenablement avec les bons repères auditifs.


« Un travail musical incomplet ou bâclé peut-il donner lieu à une défaillance lors de l’évaluation ? »

Certainement ! Se professionnaliser en musique implique souvent un jugement binaire (certes parfois cruel), mais à l’image de ce métier. Pour un travail artistique demandé,
- soit nous considérons que la performance est recevable (acceptable, montrable en l’état, et donc notée)
- soit cela fait l’objet d’une défaillance dans l’évaluation (nous ne pouvons pas accepter une prestation volontairement bâclée, car dans ce métier, un candidat est retenu ou non pour un rôle, un arrangement est accepté ou non pour une oeuvre, une performance est maintenue ou non pour une prestation…). C’est la dure loi de ce métier.


« Un travail remis en retard reste-t-il acceptable ?  »

Afin d'inciter au mieux les étudiants à s'organiser, nous fixons une date limite de remise des devoirs. Généralement, une semaine maximum de retard (quelle qu'en soit la raison) est permise pour l'envoi de ces travaux. Au-delà de ce délai, il serait pertinent d'enlever un point (sur 20) par jour de retard : une façon aussi de valoriser le travail de ceux qui mettent un point d'honneur à toujours respecter les délais. Les devoirs et exercices proposés n'ont de valeur que s'ils sont accomplis régulièrement, ou dans les délais impartis, en suivant au fil des semaines tout un processus d'apprentissage (nécessaire à la progression, c'est-à-dire à la construction neuronale au sein du cerveau). Bâcler en enchaînant une série d'exercices au tout dernier moment, n'a absolument aucun intérêt.

Prenons l'exemple d'une gamme à jouer très régulièrement sur un piano. Jour après jour, le cerveau (qui fixe l'ensemble des informations pendant les phases de sommeil) va permettre aux doigts d'acquérir une certaine aisance, une souplesse, une vitesse d'exécution. Quel serait l'intérêt de cet exercice s'il n'était juste joué qu'une seule fois, en toute fin de semaine ou toute fin d'année, par un étudiant désireux uniquement de montrer que le travail a été réalisé ? Certes, la gamme aura été jouée; une vidéo aura peut-être même été tournée et adressée à l'enseignant; mais tout le monde aura perdu son temps (et l'argent public aura été dévoyé). Il en va de même pour toutes les autres matières, y compris les matières d'érudition qui ont besoin de temps pour être définitivement assimilées (le bachotage ne sert absolument à rien dans ce cas : c'est de l'escroquerie pure et simple).

Comme je le rappelle souvent, le respect des délais ne constitue pas une punition, mais une incitation, dans le cadre d'une formation donnée, à mieux s'organiser (et donc à ne pas décrocher). Le métier d'un musicien professionnel (enseignant, interprète, arrangeur, diffuseur, etc.) consiste sans cesse à respecter les délais impartis (pour la date d’un concert, d'un cours, d'une répétition d'orchestre, de la sortie d'un album). La musique est un art qui s'inscrit dans le temps : une note (même juste) jouée au mauvais moment devient toujours une fausse note ! Apprendre à gérer, à canaliser, à maîtriser le temps; là est le secret...


« Vous amusez-vous parfois à catégoriser les profils des étudiants ? »

Une expérience de l'enseignement de plusieurs décennies, en conservatoire, en école privée de comédie musicale, à l'université, au Cefedem ou Pôle Supérieur de Musique, m'a permis de dresser une petite typologie des différents étudiants :

- les bosseurs : ils parviennent toujours à réaliser quelque chose dont ils seront fiers

- les bosseurs, mais qui bossent mal : ils n'appliquent pas réellement les conseils donnés et gaspillent un temps et une énergie considérables en occultant l'essentiel

- les flemmards : on attend qu’ils se réveillent un jour

- les flemmards doués : ils ont des acquis et des facilités; sur un an, ils peuvent conserver leur avance, mais sur 3 ans, ils sont forcément rattrapés par les bosseurs

- les râleurs qui ne réussissent pas : inconsciemment, ils ne se sentent pas à la hauteur et rassurent leur égo en décrétant rapidement que c'est la faute des profs, de l'institution - bref, des autres

- les râleurs qui réussissent : ils ont parfois des acquis ou facilités qui leur  permettront de faire quelque chose d’intéressant, mais leurs critiques incessantes découragent insidieusement ceux qui ont moins de facilités et qui abandonneront en cours de route; inconsciemment, ils opèrent une sélection naturelle (personnellement, je ne trouve pas cela très honnête)

- les dénués de tout sens artistique : aucun d'entre vous, si vous êtes dans ce cursus :-)

Cette typologie vous servira peut-être également le jour où vous serez également amenés à enseigner…




ÉLITISME ET VIE MUSICALE

« Est-il indispensable de devenir un virtuose ? »

La virtuosité instrumentale n’est certes pas une fin en soi, mais il est regrettable que la majorité des prestations et enregistrements des étudiants n’intègre pas d’accompagnement ou de passage instrumental dépassant un niveau de début de 2e cycle. Vous ne retrouverez pourtant que rarement une telle économie dans la technique instrumentale déployée par les interprètes ou groupes connus. Imaginez la carrière d’un accompagnateur jouant toute sa vie des morceaux d’un niveau de fin de 1er cycle ! Montrez que vous êtes bons musiciens, avec une maîtrise technique; ceux qui vous embaucheront et vous programmeront demain attendent également cela.

Quoi qu'il en soit, si l'idée de devenir un virtuose vous effraie, sachez que le niveau de 3e cycle souhaité en fin de 3e année de licence, ne vous permettra pas d'être considéré comme un immense virtuose pour autant...


« Ne faudrait-il pas éviter toute forme d’élitisme à l’université ? »

Vous êtes très certainement en âge de comprendre ce qui va suivre. Nuire par exemple à la qualité d’un enseignement au sein d’un cursus universitaire, participe indirectement à un projet politique - dont vous n’avez peut-être pas conscience - mais qui est désormais bien connu. Contribuer au fait qu’un rythme de travail digne d’une grande école, qu’un souci constant d’exigence, qu’une recherche grandissante d’excellence, soit désormais impossibles à l’université, renforce le clivage entre grandes écoles et universités.

Qui fréquente les grandes écoles ? Majoritairement, des étudiants issus de milieux favorisés. Le conservatoire de Paris ne fait pas exception non plus : pensez-vous qu’il intègre beaucoup de fils d’ouvriers immigrés habitant en cité ? Désormais, plus encore qu’autrefois (tous les sociologues s’accordent à dire que l’ascenseur social est de moins en moins opérant), il y a d’un côté les grandes écoles (capables d’imposer une assiduité, une exigence) pour les plus riches, et de l’autre, la fac, pour les moins riches.

Personne ne vous oblige à suivre un cursus universitaire - vous êtes majeurs : si plusieurs matières ne vous intéressent pas, cela signifie que le cursus n’est pas réellement fait pour vous. Laissez alors leur chance à ceux qui veulent progresser, ainsi qu’à ceux qui souhaiteraient intégrer la filière.
Une institution d'enseignement supérieur telle que l'université ne devrait donc pas afficher un niveau d'exigence inférieur à celui d'un conservatoire de région (qui n'est d'ailleurs censé dispenser officiellement qu’une pratique amateur, même s'il emploie aussi généralement des grands professionnels de la pédagogie et des musiciens de talent).


« Ce cursus est-il à l’image de la vie musicale ? »

Oui et non ! Je reste toujours étonné, compte tenu du manque de moyens dont nous disposons (comparé à d’autres institutions), de la variété des projets qui vous sont proposés (grâce à de nombreuses actions bénévoles et de plusieurs partenariats), de la diversité des approches pédagogiques (à l’image de ce que représente la musique sur la planète), de la patience et de la bienveillance de l’ensemble de vos enseignants. Pour avoir fréquenté bon nombre de filières universitaires et d’autres institutions musicales, j’ai rarement vu autant de patience et de disponibilité de la part de certains collègues.

Mais comprenez bien que le milieu de la musique et le monde professionnel d’une manière générale ne pourront jamais être aussi compréhensifs et bienveillants que ce que vous avez connu jusque-là (de l’école primaire jusqu’à l’université). Après la fac, vous serez confrontés au monde véritable des adultes, ce qui est bien sûr enthousiasmant en soi, à condition de ne pas se tromper dans l’évaluation des rapports humains et de réaliser que désormais plus rien ne vous sera dû.


« Et qu'en est-il des qualités humaines ? »

Le métier de musicien ne repose pas seulement sur des acquis techniques, mais aussi sur une forme de droiture (respect de ses engagements artistiques, de la parole donnée, sérieux dans la mise en oeuvre d’un projet collectif qui concerne donc aussi d’autres musiciens). Ce cursus s’articule aussi autour de projets de groupe, car on ne peut jamais faire de la musique tout seul : on a besoin d’autres artistes, de techniciens de la scène, de programmateurs, etc., tout autant de personnes qui ont besoin de vous faire confiance.

Plus tard, lorsqu’on présente des artistes à des programmateurs, lorsqu’on engage des enseignants, lorsqu’on épaule ou que l’on cherche à rendre service à des musiciens, on privilégie bien évidemment, parmi les centaines ou les milliers de musiciens, ceux qui ont démontré ces aptitudes. Un cursus de musique doit prétendre finalement, au-delà même des techniques enseignées, contribuer à devenir adulte (au bon sens du terme).



« Arrêter le cursus en cours constitue-t-il forcément un échec ? »

Pas forcément ! Si vous n’avez pas suivi les cours, c’est évidemment un échec : en tout cas pour la collectivité qui a financé malgré tout votre formation.

Si la formation vous a permis de progresser et d’évoluer, c’est déjà une réussite - même si le diplôme de licence ne vous sera pas attribué. Les sociologues et les économistes qui étudient la notion d’externalité positive ont montré qu’un cursus n’est pas obligé de délivrer un diplôme et de permettre à chaque étudiant de décrocher rapidement un métier autour de la discipline enseignée, afin de représenter un intérêt certain pour la collectivité et de permettre un réel retour sur investissement. Un jeune adulte ayant étudié partiellement à l’université ou au conservatoire deviendra peut-être un passionné et un consommateur de musique (achetant des disques, des places de concert); il conservera une activité musicale qui lui évitera peut-être un jour de tomber dans une grave dépression (qui aurait pu alourdir encore davantage le trou de la Sécurité Sociale); il pourra peut-être inciter ses enfants étudier la musique, les épauler à son tour, leur permettre de devenir des professionnels de la musique…

On voit bien qu’on ne peut pas évaluer l’intérêt d’une formation par le petit bout de la lorgnette, uniquement sur le court terme - même si nous aimons rappeler que les vingt étudiants de notre première promotion ayant validé leur licence de Musiques actuelles, vivent tous aujourd’hui (à une exception près) de la musique (pratique musicale, communication autour de la musique) ou de l’enseignement.



AUTRES INSTITUTIONS

« Existe-t-il une rivalité entre universités et conservatoires ? »

Un clivage a certes longtemps existé entre ces deux institutions, le conservatoire ayant longtemps eu le monopole de la pratique musicale, et l’université, celui de la théorie. Même si de très rares enseignants (des deux institutions) voudraient encore aujourd’hui alimenter un clivage désuet rappelant presque un mépris de classe  - comme s’il y avait d’un côté des praticiens incultes et de l’autre des intellos incapables de jouer la musique - on trouve à la fois de grands intellectuels ou théoriciens ou sein des conservatoires, et d’excellents interprètes à l’université. Parmi les musiciens qui enseignent depuis des années à l’Université Bordeaux Montaigne, je pourrais citer les organistes Marie-Bernadette Dufourcet et Emmanuel Pelaprat, ou les jazzmen Phil Walter et Luc Lainé, ou encore l’accordéoniste Patrick Brugalières, etc. En tant que directeur de la filière Musique, j’ai d’ailleurs toujours mis un point d’honneur à recruter régulièrement des enseignants du CRR de Bordeaux.

Il y aura toujours bien sûr quelques déçus du conservatoire ou de l’université. Les taux d’abandon avant une fin de cursus sont importants partout, même si les moyens financiers mis en oeuvre ne sont pas comparables. Une université n’aura certes jamais les moyens de dispenser des cours particuliers; ce qui amène parfois plusieurs enseignants à augmenter leurs heures, bénévolement, de 20… jusqu’à même 100% (alors que moins d’un prof sur dix est titulaire dans les universités françaises). La compétence, la disponibilité et la passion pour la musique concernent donc bien les enseignants de toutes institutions.



« Concernant les métiers de gestion de la musique, une formation consacrée à l'étude de la chanson n’est-elle pas moins pertinente qu’un cursus de management culturel ? »


Ces filières sont certes différentes, nul ne le contestera. Mais est-il besoin de rappeler que de très nombreux festivals, concours, petites salles de concerts sont gérés et présidés par des musiciens de métier ou des artistes qui n'ont jamais suivi de cursus de management ? Une des plus grandes sociétés civiles, la SACEM, n'a-t-elle pas pour Président un compositeur et chef d'orchestre (Laurent Petitgirard), qui a lui-même succédé à Claude Lemesle (grand auteur de chanson) ? D'ailleurs, ses sociétaires ne s'enorgueillissent-ils pas de la devise : "société gérée PAR les auteurs, compositeurs et éditeurs de musique" ?

Plusieurs études prouvent que les petites salles de spectacles sont créés et administrées, dans leur très grande majorité, par des artistes professionnels ou amateurs, voire de simples mélomanes, n'ayant jamais été formés spécialement aux rouages de la gestion culturelle. A l'heure où d'aucuns mettent en doute l'intérêt de certaines filières littéraires ou artistiques – au regard des cursus plus professionnalisants de management ou de communication qui proposeraient un enseignement plus pragmatique (en d'autres termes "plus utile") – ne pourrions-nous pas supposer que la connaissance d'un répertoire, la maîtrise d'une pratique artistique sont encore plus indispensables pour l'organisation d'un événement culturel ?

Loin de nous l'idée de fustiger à notre tour les formations de gestion, mais n'y a-t-il pas une certaine injustice à vouloir considérer que la culture, la connaissance approfondie des oeuvres, l'apprentissage d'une pratique artistique, constituent des acquis largement insuffisants pour élaborer une programmation, encadrer des interprètes et assumer une direction artistique ou même administrative ? La gestion culturelle n'implique-t-elle pas un certain charisme – capable de susciter l'estime des musiciens ou des comédiens que l'on croise – davantage le fruit d'une réelle connaissance de l'art ? Un agrégé de lettres serait-il réellement un moins bon directeur de festival de poésie, qu'un diplômé en master de communication ?

Il serait dommage de devoir absolument opposer deux formations pourtant relativement complémentaires : l’une donnant accès aux œuvres et à la pratique artistique (soupçonnée de fabriquer des chômeurs), l’autre s’inscrivant dans une optique professionnelle (même si le choix de l’école de commerce ou de la communication se résume pour certains à celui de l’épice ou du boniment). C’est bien là tout l’enjeu de la réflexion entamée depuis quelques années autour de la pertinence de certaines filières jugées « non rentables ». Encore une fois, nous avons montré plus haut que la passion pour un répertoire, qui anime l’étudiant de musique, constitue le vrai moteur capable de fournir plus tard toute l’énergie nécessaire à la création d’une salle de spectacles ou d’un festival. Cette activité, qui durant les premières années, ne peut généralement pas prétendre à l’obtention de subventions importantes et à une rentabilité financière, s’apparente davantage à un sacerdoce de la part de ces « fous et allumés de musique », et rebute souvent le jeune professionnel de la gestion culturelle qui, avec son bac + 5 et son diplôme en poche, souhaiterait, tant qu’à faire, ne pas « travailler à l’œil » durant ces trois premières années.

Tout le problème réside dans le fait que le renoncement à une carrière d’interprète, après de nombreuses années d’étude et de pratique musicale au conservatoire et à l‘université, est trop souvent perçu comme un échec professionnel. Pourtant, ces musiciens - puisque l’on reste toujours un "musicien" (que l’on vive ou pas de son métier) - s’orientent parfois vers ces mêmes filières de gestion et de communication, et c’est justement leur réelle connaissance de l’art musical qui rendra leur action et leurs projets pertinents.